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Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/194

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son obeïssance filiale, et qui ne lui avoit point communiqué le détail de cette affaire, fut fort surpris quand elle refusa de prendre la plume. Il crût d’abord qu’une honneste pudeur la retenoit, et que par ceremonie elle ne vouloit pas signer devant les autres. Enfin, apres plusieurs remonstrances, l’ayant assez vivement pressée, elle répondit assez galamment : Qu’elle remercioit ses parens de la peine qu’ils avoient prise de luy chercher un espoux, mais qu’ils devoient en laisser le soin à ses yeux ; qu’ils estoient assez beaux pour luy en attirer à choisir ; qu’elle avoit assez de mérite pour espouser un homme de qualité qui auroit des plumes, et qui n’auroit point cet air bourgeois qu’elle haïssoit à mort ; qu’elle vouloit avoir un carosse, des laquais et la robe de velours. Elle cita là-dessus l’exemple de trois ou quatre filles qui avoient fait fortune par leur beauté, et épousé des personnes de condition. Qu’au reste elle estoit jeune, qu’elle vouloit estre fille encore quelque temps, pour voir si le bonheur lui en diroit, et qu’au pis aller elle trouveroit bien un homme qui vaudroit du moins le sieur Bedout, qu’elle appeloit un malheureux advocat de causes perduës.

Toute la compagnie fut estonnée de cette réponse, qu’on n’attendoit point d’une fille qui avoit vescu jusqu’alors dans une grande innocence et dans une entière soumission à la volonté de ses parens. Mais ce qui luy donnoit cette hardiesse estoit la passion qu’elle avoit pour Pancrace, auparavant laquelle tout engagement luy estoit indifferent. Vollichon, la regardant avec un courroux qui luy suffoquoit presque la voix, luy dit : Ah ! petite insolente, qui vous a appris tant de vanité ? Est-ce depuis que vous hantez chez mademoiselle Angelique ? Vrayement, il vous appartient bien de vous former sur le mo-