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Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/29

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ville ; et je commenceray par celuy qui est le plus bourgeois, qu’on appelle communément la place Maubert.

Un autre autheur moins sincère, et qui voudroit paroistre éloquent, ne manqueroit jamais de faire icy une description magnifique de cette place. Il commenceroit son éloge par l’origine de son nom ; il diroit qu’elle a esté annoblie par ce fameux docteur Albert le Grand, qui y tenoit son écolle, et qu’elle fut appelée autrefois la place de Me Albert, et, par succession de temps, la place Maubert. Que si, par occasion, il écrivoit la vie et les ouvrages de son illustre parrain, il ne seroit pas le premier qui auroit fait une digression aussi peu à propos. Après cela il la bâtiroit superbement selon la dépense qu’y voudroit faire son imagination. Le dessein de la place Royalle ne le contenteroit pas ; il faudroit du moins qu’elle fût aussi belle que celle où se faisoient les carrousels, dans la galente et romanesque ville de Grenade. N’ayez pas peur qu’il allast vous dire (comme il est vray) que c’est une place triangulaire, entourée de maisons fort communes pour loger de la bourgeoisie ; il se pendroit plûtost qu’il ne la fist quarrée, qu’il ne changeast toutes les boutiques en porches et galleries, tous les aulvens en balcons, et toutes les chaînes de pierre de taille en beaux pilastres. Mais quand il viendroit à décrire l’église des Carmes, ce seroit lors que l’architecture jouëroit son jeu, et auroit peut-estre beaucoup à souffrir. Il vous feroit voir un temple aussi beau que celuy de Diane d’Ephese ; il le feroit soûtenir par cent colomnes corinthiennes ; il rempliroit les niches de statues faites de la main de Phidias ou de Praxitelle ; il raconteroit les histoires figurées dans les bas reliefs ;