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Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/95

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me reconnu ce vol que peu de jours avant ce procès que venoit de former Villeflatin contre Nicodeme, et n’en avoit pas encore soubçonné le marquis ; mais quand elle vid que son absence duroit, qu’il ne luy écrivoit point et que sa promesse estoit perdue, elle ne douta plus de sa perfidie. Dans son déplaisir elle ne trouva point de meilleur remede à son affliction que d’entretenir avec plus de soin ses autres conquestes. Or comme il falloit qu’elle se mariast avant qu’on s’apperceust de ce qu’elle avoit tant de sujet de cacher, elle commença à s’affliger moins du zele indiscret de son voisin, qui luy cherchoit un mary malgré elle par les voyes de la justice.

Elle attendit donc avec patience le succès de cette affaire, raisonnant ainsi en elle-mesme, que si elle gagnoit sa cause, elle gagnoit un mary dont elle avoit grand besoin, et si elle la perdoit, elle pourroit dire (comme il estoit vray) qu’elle n’avoit point approuvé cette procedure, et qu’on l’avoit commencée à son insceu, ce qu’elle croyoit estre suffisant pour mettre son honneur à couvert. Aussi bien il n’estoit plus temps de deliberer ; la promptitude du procureur avoit fait tout le mal qui en pouvoit arriver ; la matiere estoit desja donnée aux caquets et aux railleries ; il falloit voir seulement où cela aboutiroit. Villeflatin, la revenant voir le soir, luy dit qu’elle luy donnast sa promesse. La honte ne l’ayant pas encore fait resoudre, elle fit semblant de l’avoir égarée et luy dit mesme qu’elle craignoit qu’elle ne fust perduë. Vous auriez fait là (reprit-il) une belle affaire. Or sus, trouvez-la au plustost, cependant que ce mariage est arresté ; il ne peut passer outre au prejudice de nos deffenses ; mais la faudra bien avoir pour la faire reconnoistre.