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Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, économiste, 1876.djvu/102

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ÉCONOMISTE.

la tienne, on est naturellement porté à s’apitoyer sur le sort des célibataires. En me conseillant de me marier, mon cher Jean, ta voix n’est pas la voix qui crie dans le désert ; tu sais déjà que je ne suis pas sourd sur ce chapitre.

« Mais plus je connais le monde, plus j’hésite, plus je suis effrayé. Tu n’as jamais eu l’occasion de faire la comparaison entre la vie rurale et celle de nos cités. Tu n’as pas eu besoin d’être riche, toi, pour te marier ; la personne que tu as épousée, loin d’augmenter le chiffre de ton budget, est devenue pour toi, grâce à son genre d’éducation et à ses habitudes de travail, une associée, une aide, une véritable compagne. Mais dans nos villes c’est bien différent : les jeunes filles que nous appelons des demoiselles bien élevées, c’est-à-dire celles qui ont reçu une éducation de couvent, qui savent toucher le piano, chanter, broder, danser, ne peuvent songer à se marier qu’à un homme possédant plusieurs centaines de louis de revenu annuel. Elles seraient malheureuses sans cela. Il est vrai qu’elles sont pauvres elles-mêmes, puisqu’elles n’ont généralement pour dot que leurs vertus, leurs grâces, leur amabilité ; mais elles ont été élevées dans le luxe et l’oisiveté, et elles veulent continuer à vivre ainsi ; cela est tout naturel. Il faut qu’elles puissent se toiletter, recevoir, fréquenter le monde et les spectacles. Ce n’est pas leur faute s’il en est ainsi, c’est la faute de leur éducation, ou plutôt celle des habitudes et des exigences de la société dont elles font partie. Mais toutes ces exigences occasionnent des dépenses dont le jeune homme à marier s’épouvante avec raison. Ce sont ces mêmes exigences, portées à l’excès, qui font que dans la