Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/179

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peur, au dernier moment ? Peut-être se cache-t-il, pendant que nous sommes ici risquant notre peau et le pain de nos enfants ?

Et déjà, ces terribles épithètes : traître, agent provocateur, circulaient de bouche en bouche, et gonflaient de colère toutes les poitrines.

Quelques-uns des conjurés étaient d’avis de se disperser ; mais d’autres, et c’étaient les plus influents, voulaient au contraire qu’on marchât sur Montaignac sans Lacheneur, et cela, sur-le-champ, sans attendre seulement le moment fixé pour l’attaque.

Mais toutes les délibérations furent interrompues par le galop furieux d’un cheval.

Un cabriolet parut, qui s’arrêta au milieu du carrefour.

Deux hommes en descendirent : le baron d’Escorval et l’abbé Midon.

Ils avaient pris la traverse et devancé Lacheneur. Ils respirèrent… Ils pensèrent qu’ils arrivaient à temps.

Hélas ! Ici comme là-bas, sur la lande de la Rèche, tous leurs efforts, leurs supplications et leurs menaces devaient se briser contre la plus aveugle obstination.

Ils étaient venus avec l’espoir d’arrêter le mouvement, ils le précipitèrent.

— Nous sommes trop avancés pour reculer, s’écria un propriétaire des environs, chef reconnu en l’absence de Lacheneur, si la mort est devant nous, elle est aussi derrière nous. Attaquer et vaincre… telle est notre unique chance de salut. Marchons donc, et à l’instant, c’est le seul moyen de déconcerter nos ennemis… Lâche qui hésite ; en avant !…

Une seule et même acclamation lui répondit :

— En avant !…

Aussitôt, on tire de son étui un drapeau tricolore, ce drapeau tant regretté, qui rappelait tant de gloire et de si grands malheurs, un tambour bat la marche, et la colonne entière s’ébranle aux cris de : « Vive Napoléon II ! »