Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/299

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Troublée, émue, cette femme essaya de balbutier quelques excuses… N’en trouvant pas, elle se laissa tomber à genoux, en criant :

— Sauvez-vous, monsieur, sauvez-vous… vous êtes trahi !…

Brusquement, Lacheneur se rejeta en arrière, cherchant de l’œil une arme pour se défendre, une issue pour fuir.

Il avait pu se croire abandonné ; mais trahi… non, jamais.

— Qui donc m’a vendu ?… fit-il d’une voix étranglée.

— Vos amis, ces deux hommes qui soupaient là, à cette table.

— Impossible, madame, impossible !…

C’est qu’il était à mille lieues de soupçonner les calculs et les espérances des deux métayers, et il ne pouvait pas, il ne voulait pas les croire capables de le livrer ignoblement pour de l’argent.

— Cependant, poursuivait la femme de l’aubergiste, toujours à genoux, ils viennent de partir pour Saint-Jean-de-Coche où ils vont vous dénoncer… Je les ai entendus dire comme cela que votre vie rachèterait la leur… Ils vont pour sûr ramener les gendarmes !… Pourquoi faut-il que j’aie encore cette honte d’avouer que mon mari, lui aussi, est allé vous vendre…

Lacheneur comprenait maintenant !… Et ce suprême malheur, après tant de misères, brisa les derniers ressorts de son énergie.

De grosses larmes jaillirent de ses yeux et il s’affaissa sur une chaise en murmurant :

— Qu’ils viennent donc, je les attends… Non, je ne bougerai pas d’ici !… C’est trop disputer une misérable existence.

Mais la femme du traître s’était relevée, et elle s’attachait obstinément aux vêtements du malheureux, elle le secouait, elle le tirait, elle l’eût porté si elle en eût eu la force.