Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/362

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Mais Martial était de ces natures que l’ombre seule de la contrainte exaspère.

L’idée qu’il paraîtrait se rendre à des menaces, quand en réalité il ne se rendait qu’aux larmes de Marie-Anne, lui fit horreur.

— Voici mon dernier mot, monsieur le curé, prononça-t-il. Remettez-moi à l’instant ce brouillon que m’a arraché une ruse de Chanlouineau, et je vous jure sur l’honneur de mon nom, que tout ce qu’il est humainement possible de faire pour sauver le baron, je le ferai… Sinon si vous vous défiez de ma parole, bonsoir.

La situation était désespérée, le danger pressant, le temps mesuré… Le ton de Martial annonçait une résolution inébranlable.

L’abbé pouvait-il hésiter ?

Il tira la lettre de sa poche, et la tendant à Martial :

— Voici, monsieur ! prononça-t-il d’une voix solennelle, souvenez-vous que vous venez d’engager l’honneur de votre nom.

— Je me souviendrai, monsieur le curé… Allez chercher les cordes.

C’est ainsi que les choses s’étaient passées.

C’est dire la douleur de l’abbé Midon quand eut lieu l’épouvantable chute du baron, et sa stupeur quand Maurice s’écria que la corde avait été coupée.

— C’est ma confiance qui tue le baron !… dit-il.

Et cependant il ne pouvait se résoudre à charger Martial de cette exécrable action. Elle trahissait une profondeur de scélératesse et d’hypocrisie qu’on ne rencontre guère chez les hommes de moins de vingt-cinq ans.

Mais il avait sur ses émotions la puissance du prêtre. Nul ne put soupçonner le secret de ses pensées. Il resta maître de soi, et c’est avec les apparences du plus inaltérable sang-froid qu’il donna sur place les premiers soins au baron et qu’il régla les détails de la fuite.

Quand il vit M. d’Escorval installé chez Poignot, quand il eût vu s’éloigner le cortège destiné à donner le change, il respira.