Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/395

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conjurés obscurs qu’il ne connaît pas !… S’il les protège c’est pour avoir le droit de te protéger, toi et ceux que tu aimes !… s’il a fait remettre les prisonniers en liberté, n’est-ce pas qu’il se propose de faire réformer le jugement injuste qui a condamné à mort le baron d’Escorval innocent !…

Elle sentait diminuer son aversion pour Martial lorsqu’elle songeait à cela.

Et dans le fait, n’était-ce pas de l’héroïsme de la part d’un homme dont elle avait repoussé les offres éblouissantes !…

Pouvait-elle méconnaître tout ce qu’il y avait de réelle grandeur dans la façon dont Martial, plutôt que d’être soupçonné d’une lâcheté, avait révélé un secret qui pouvait renverser la fortune politique du duc de Sairmeuse !…

Et cependant jamais l’idée de cette grande passion d’un homme vraiment supérieur ne fit battre son cœur plus vite. Jamais elle n’en éprouva un mouvement d’orgueil…

Hélas !… Rien n’était plus capable de la toucher ; rien ne pouvait plus la distraire de la noire tristesse qui l’envahissait.

Deux mois après son arrivée à la ferme du père Poignot, elle n’était plus que l’ombre de cette belle et radieuse Marie-Anne, qui, jadis sur son passage, recueillait tant de murmures d’admiration…

Elle maigrissait et dépérissait à vue d’œil, pour ainsi dire, ses joues se creusaient. Chaque matin elle se levait plus pâle que la veille, chaque jour élargissait le cercle bleuâtre qui cernait ses grands yeux noirs.

Vive et active autrefois, elle était devenue paresseuse et lente. Elle ne marchait plus, elle se traînait. Souvent elle restait des journées entières immobile sur une chaise, les lèvres contractées comme par un spasme, le regard perdu dans le vide. Parfois de grosses larmes roulaient silencieuses le long de ses joues.

Les gens de la ferme — et Dieu sait cependant si les