Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/40

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Martial, ce précoce diplomate, ne put se retenir de sourire à cette réponse qu’il avait presque prévue. Mais le duc bondit sur sa chaise.

— Ah !… s’écria-t-il, c’est le drôle qui a eu l’impudence de…. Faites-le entrer, la vieille, qu’il vienne.

Bibiane sortie, le malaise de l’abbé Midon redoubla.

— Permettez-moi, monsieur le duc, dit-il fort vite, de vous faire remarquer que M. Lacheneur jouit d’une grande influence dans le pays… se l’aliéner serait impolitique….

— J’entends… vous me conseillez des ménagements. C’est parler en pur Jacobin, l’abbé. Si Sa Majesté, qui n’y est que trop portée, écoute des donneurs d’avis de votre sorte, les ventes seront ratifiées… Jarnibleu ! nos intérêts sont cependant les mêmes… Si la Révolution s’est emparée des propriétés de la noblesse, elle a pris aussi les biens du clergé… entre nous, pourquoi faire la petite bouche ?

— Les biens d’un prêtre ne sont pas de ce monde, monsieur, prononça froidement le curé.

M. de Sairmeuse allait probablement répondre quelque grosse impertinence, mais M. Lacheneur parut suivi de sa fille.

L’infortuné était livide, de grosses gouttes de sueur perlaient sur ses tempes, et l’égarement de ses yeux disait la détresse de sa pensée.

Aussi pâle que son père était Marie-Anne, mais son attitude et la flamme de son regard, disaient sa virile énergie.

— Eh bien !… l’ami, fit le duc, nous sommes donc le châtelain de Sairmeuse ?

Ceci fut dit avec une si choquante familiarité que le curé en rougit. C’était chez lui, en somme, qu’on traitait ainsi un homme qu’il jugeait son égal.

Il se leva, et avançant deux chaises :

— Asseyez-vous donc, mon cher monsieur Lacheneur, dit-il avec une politesse qui voulait être une leçon, et vous aussi, mademoiselle, faites-moi cet honneur…