Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/445

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La nuit était magnifique mais très-obscure, et à chaque instant les deux femmes étaient arrêtées par quelque obstacle, haie vive ou fossé. Deux fois Mme Blanche perdit sa direction. La pauvre tante Médie se heurtait à toutes les mottes de terre, trébuchait à tous les sillons, elle geignait, elle pleurait presque, mais sa terrible nièce était impitoyable.

— Marche, lui disait-elle, ou je te laisse, tu retrouveras ton chemin comme tu pourras.

Et la parente pauvre marchait.

Enfin, après une course de plus d’une heure, Mme Blanche respira. Elle reconnaissait la maison de Chanlouineau. Elle s’arrêta dans le petit bois que Chupin appelait « le bocage. »

— Sommes-nous donc arrivées ? demanda tante Médie.

— Oui, mais tais-toi, reste là, je veux voir quelque chose.

— Quoi ! tu me laisses seule ?… Blanche, je t’en prie, que veux-tu faire ?… Mon Dieu, tu m’épouvantes… j’ai peur, Blanche !…

Déjà la jeune femme s’était éloignée. Elle parcourait en tous sens le petit bois, cherchant Chupin. Elle ne le trouva pas.

— J’avais deviné, pensait-elle, les dents serrées par la colère, le misérable me jouait. Qui sait si Martial et Marie-Anne ne sont pas là, dans cette maison, se moquant de moi, riant de ma crédulité !…

Elle rejoignit tante Médie à demi-morte de frayeur, et toutes deux s’avancèrent jusqu’à la lisière du « bocage, » à un endroit d’où l’on découvrait la façade de la Borderie.

Deux fenêtres au premier étage étaient éclairées de lueurs rougeâtres et mobiles… Évidemment il y avait du feu dans la pièce.

— C’est juste, murmura Mme Blanche, Martial est si frileux !

Elle songeait à s’avancer encore, quand un coup de sifflet la cloua sur place.