Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/454

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Une épouvantable angoisse serra le cœur de madame Blanche.

— La coquine, pensa-t-elle, trouverait-elle donc au bouillon une saveur suspecte ?…

Nullement, mais il s’était refroidi et il s’était formé à la surface une gelée qui répugnait à Marie-Anne.

Elle prit donc la cuillère, écréma le bouillon et ensuite l’agita assez longtemps pour bien diviser les parties grasses.

Cela fait, elle but, reposa la tasse sur la cheminée et reprit sa besogne.

C’était fini !… Le dénoûment, désormais, ne dépendait plus de la volonté de Mme Blanche ; quoi qu’il advînt, elle était une empoisonneuse.

Mais si elle avait la conscience très-nette de son crime, l’excès de sa haine l’empêchait encore d’en comprendre l’horreur et la lâcheté.

Elle se répétait même que c’était un acte de justice qu’elle accomplissait, qu’elle ne faisait que se défendre ! que la vengeance était encore bien au-dessous de l’outrage, et que rien n’était capable de payer les tortures qu’elle avait endurées…

Au bout d’un moment, pourtant, une appréhension sinistre l’agita.

Ses notions sur les effets des poisons étaient des plus incertaines. Elle s’était imaginée que Marie-Anne tomberait comme foudroyée, et qu’elle serait libre de s’enfuir après lui avoir toutefois jeté son nom pour ajouter aux angoisses de son agonie.

Et pas du tout. Le temps passait et Marie-Anne continuait à s’occuper des apprêts du souper comme si de rien n’était.

Elle avait étendu une nappe bien blanche sur la table, elle la lissait avec ses mains, elle disposait dessus un couvert….

— Comme c’est long, pensait Mme Blanche, si on allait venir !

Elle se sentait pâlir à l’idée d’être surprise. C’était mi-