Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blessés par lui autrefois, offensés et persécutés, étaient au pouvoir. Il ne calcula rien. Et d’ailleurs, que pouvait-on contre lui, lui qui ne voulait plus rien être !… Quelle prise offrait-il à des représailles ?…

L’exil qui avait lourdement pesé sur lui, le chagrin, les déceptions, l’isolement où il s’était tenu, avaient disposé son âme à la tendresse, et il revenait avec l’intention formellement arrêtée de surmonter ses anciennes répugnances et de se rapprocher franchement de la duchesse.

— La vieillesse arrive, pensait-il. Si je n’ai pas une femme aimée à mon foyer, j’y veux du moins une amie…

Et dans le fait, ses façons, à son retour, étonnèrent Mme Blanche. Elle crut presque retrouver le Martial du petit salon bleu de Courtomieu. Mais elle ne s’appartenait plus, et ce qui eût dû être pour elle le rêve réalisé ne fut qu’une souffrance ajoutée à toutes les autres.

Cependant, Martial poursuivait l’exécution du plan qu’il avait conçu, quand un jour la poste lui apporta ce laconique billet :

« Moi, monsieur le duc, à votre place, je surveillerais ma femme. »

Ce n’était qu’une lettre anonyme, cependant Martial sentit le rouge de la colère lui monter au front.

— Aurait-elle un amant, se dit-il.

Puis réfléchissant à sa conduite, à lui, depuis son mariage :

— Et quand cela serait, ajouta-t-il, qu’aurais-je à dire ?… Ne lui ai-je pas tacitement rendu sa liberté !…

Il était extraordinairement troublé, et cependant jamais il ne fût descendu au vil métier d’espion, sans une de ces futiles circonstances qui décident de la destinée d’un homme.

Il rentrait d’une promenade à cheval, un matin, sur les onze heures, et il n’était pas à trente pas de son hôtel, quand il en vit sortir rapidement une femme, plus