Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/68

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C’est qu’il ne s’abusait pas. Si tout d’abord son rendez-vous pour le lendemain lui était apparu comme le salut même, il se disait, en y réfléchissant froidement, que cette entrevue ne changerait rien, puisque tout dépendait d’une volonté étrangère, la volonté de M. Lacheneur.

Il garda donc, tout le reste de la journée, un morne silence. L’heure du dîner venue, il se mit à table, mais il lui fut impossible d’avaler une bouchée, et il demanda bientôt à ses parents la permission de se retirer.

M. d’Escorval et la baronne échangèrent un regard affligé, mais ils ne se permirent aucune observation.

Ils respectaient cette douleur qu’ils étaient si dignes de partager. Ils savaient qu’il est de ces chagrins cuisants qui s’irritent de toute consolation, pareils à ces blessures qui saignent, si légère que soit la main qui les panse.

— Pauvre Maurice !… murmura Mme d’Escorval, dès que son fils se fut retiré.

Et son mari ne répondant pas :

— Peut-être, ajouta-t-elle d’une voix hésitante, peut-être serait-il sage à nous de ne pas l’abandonner seul aux inspirations de son désespoir.

Le baron tressaillit. Il ne devinait que trop l’horrible appréhension de sa femme.

— Nous n’avons rien à redouter, prononça-t-il vivement ; j’ai entendu Marie-Anne promettre à Maurice de l’attendre demain au bois de la Rèche.

La malheureuse mère respira plus librement. Tout son sang s’était glacé à cette idée que son fils songerait peut-être au suicide ; mais elle était mère, elle voulait savoir.

Elle monta rapidement à la chambre de son fils, entre-bâilla doucement la porte, et regarda… Il était si bien perdu dans ses tristes rêveries, qu’il n’entendit rien et ne soupçonna même pas la sollicitude qui veillait sur lui.

Maurice était à sa fenêtre, les coudes sur la barre d’appui, le front entre ses mains, et il regardait…