Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/89

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dant alternativement son fusil et Marie-Anne, tout ce que vous devez à Mlle Lacheneur. Nous nous rencontrerons encore, je l’espère…

— Vous me l’avez déjà dit, interrompit brutalement Maurice. Rien n’est si facile que de me rencontrer… Le premier paysan venu vous indiquera la maison du baron d’Escorval.

— Eh bien !… monsieur, je ne dis pas que je ne vous enverrai pas deux de mes amis…

— Oh !… quand il vous plairai…

— Naturellement… Mais il me plaît de savoir avant en vertu de quel mandat vous vous improvisez juge de l’honneur de M. Lacheneur, et prétendez le défendre quand on ne l’attaque pas… Quels sont vos droits ?

Au ton goguenard de Martial, Maurice fut certain qu’il avait entendu au moins une partie de sa conversation avec Marie-Anne.

— Mes droits, répondit-il, sont ceux de l’amitié… Si je vous dis que vos démarches sont inutiles, c’est que je sais que M. Lacheneur n’acceptera rien de vous… non, rien, sous quelque forme que vous déguisiez l’aumône que vous voudriez bien lui jeter, sans doute pour faire taire votre conscience… Il prétend garder son affront qui est son honneur et votre honte. Ah ! vous avez cru l’abaisser, messieurs de Sairmeuse !… vous l’avez élevé à mille pieds de votre fausse grandeur… Sa noble pauvreté écrase votre opulence, comme j’écrase, moi, du talon, cette motte de sable… Lui, recevoir quelque chose de vous… allons donc !… Sachez que tous vos millions ne vous donneront jamais un plaisir qui approche de l’ineffable jouissance qu’il ressentira, quand, vous voyant passer dans votre carrosse, il se dira : « Ces gens-là me doivent tout ! »

Sa parole enflammée avait une telle puissance d’émotion, que Marie-Anne ne sut pas résister à l’inspiration qu’elle eut de lui serrer la main. Et ce seul geste les vengea de Martial qui pâlit.

— Mais j’ai d’autres droits encore, poursuivit Mau-