Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/9

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Il sauta lestement à terre, chassa son cheval vers les écuries et s’avança sur la place.

C’était un grand vieux, d’une cinquantaine d’années, maigre et noueux comme un cep de vigne. Rien, au premier abord, ne révélait le coquin. Il avait l’air humble et doux. Mais la mobilité de ses yeux, l’expression de sa bouche à lèvres minces, trahissaient une astuce diabolique et la plus froide méchanceté.

À tout autre moment, on eût évité ce personnage redouté et méprisé, mais les circonstances étaient graves, on alla au-devant de lui.

— Eh bien, père Chupin ! lui cria-t-on dès qu’il fut à portée de la voix, d’où nous arrivez-vous donc comme cela ?

— De la ville.

La ville, pour les habitants de Sairmeuse et des environs, c’est le chef-lieu de l’arrondissement, Montaignac, une charmante sous-préfecture de huit mille âmes, distante de quatre lieues.

— Et c’est à Montaignac que vous avez acheté le cheval que vous rossiez si bien tout à l’heure ?…

— Je ne l’ai pas acheté, on me l’a prêté.

L’assertion du maraudeur était si singulière que ses auditeurs ne purent s’empêcher de sourire. Lui ne parut pas s’en apercevoir.

— On me l’a prêté, poursuivit-il, pour apporter plus vite ici une fameuse nouvelle.

La peur reprit tous les paysans.

— L’ennemi est-il à la ville ? demandèrent vivement les plus effrayés.

— Oui, mais pas celui que vous croyez. L’ennemi dont je vous parle est l’ancien seigneur d’ici, le duc de Sairmeuse.

— Ah ! mon Dieu ! on le disait mort.

— On se trompait.

— Vous l’avez vu ?

— Non, mais un autre l’a vu pour moi, et lui a parlé. Et cet autre est M. Laugeron, le maître de l’Hôtel de