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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/130

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front, et le visage de don Rafael, pâle et soucieux par intervalles, démentait aussi de temps à autre l’air distrait qu’il affectait.

Gertrudis n’était pas plus calme en réalité. Une voix secrète lui disait que don Rafael allait enfin parler : déjà cette voix chantait à son oreille un vague prélude d’amour, et cependant elle cachait les tressaillements soudains de son sang créole, et les rapides frissons qui montaient de son cœur à ses joues, sous ce masque de sérénité féminine que l’œil d’un homme ne saurait pénétrer.

Un seul personnage présentait un maintien en harmonie avec ses pensées : c’était Valerio Trujano, le muletier.

Le chapeau à la main et debout devant l’hacendero, il venait prendre congé de lui et le remercier de l’hospitalité qu’il avait trouvée sous son toit.

À cette aisance de manières et de langage, particulière aux classes inférieures dans toute l’Amérique espagnole, se joignait chez l’arriero, un air d’austérité imposante, dont ses yeux seuls, à sa volonté, tempéraient l’expression rigide. En dépit de sa position sociale (la Nouvelle-Espagne n’était pas républicaine, alors), Valerio Trujano n’était pas un hôte ordinaire, ni pour don Mariano, ni pour sa fille. Indépendamment de la réputation de probité sans tache, de piété profonde dont il jouissait dans tout le pays, la générosité et le sang-froid qu’il avait montrés en s’oubliant lui-même, dans un moment de danger terrible, pour aider don Rafael à s’y soustraire, lui avaient gagné l’estime et la reconnaissance des habitants de l’hacienda.

Bien que l’officier de dragons eût payé sa dette en l’arrachant à son tour à une mort certaine, quand les eaux l’entraînaient, personne ne se croyait quitte envers l’arriero, et doña Gertrudis mêlait à ses pensées d’amour des prières pour celui qu’elle regardait à juste titre comme le sauveur de don Rafael.