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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/53

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les tigres qui ravagent les troupeaux dont sont couvertes les plaines et les montagnes, jadis la propriété de ses pères, et sur lesquelles l’emplacement de sa cabane seul est à lui. »

L’Indien aurait encore parlé longtemps que le noir n’eût pas songé à l’interrompre. L’étonnement et une sorte de respect involontaire le rendaient muet. Peut-être n’avait-il jamais su qu’une race puissante, et civilisée avait été remplacée par les conquérants espagnols, et, en tous cas, il était loin de s’attendre à retrouver, dans le tigrero plus païen que chrétien qui lui inculquait ses superstitions indiennes, le descendant des anciens maîtres de l’isthme de Tehuantepec.

Quant à Costal lui-même, l’énumération à la fois pompeuse et vraie qu’il venait de faire de la puissance de ses ancêtres le plongeait dans un sombre silence. Les yeux baissés vers la terre, comme tous ceux qui font un retour profond sur le passé, il ne songeait pas à observer l’effet que pouvaient produire ses révélations sur son camarade d’aventures.

Le soleil s’inclinait de plus en plus vers l’horizon, quand un long miaulement, aigu d’abord, puis terminé par un rugissement caverneux qui semblait sortir des fourrés les plus éloignés, sur le bord de la rivière, vint retentir aux oreilles des deux interlocuteurs et faire passer le nègre de l’étonnement à la plus vive frayeur.

L’Indien ne changea pas de position, ne fit pas un geste, tandis que le nègre bondit sur ses pieds en s’écriant :

« Jésus ! Marie ! le jaguar !

— Eh bien ! quoi ? dit tranquillement Costal.

— Le jaguar ! répéta Clara.

— Le jaguar ? vous faites erreur.

— Plût à Dieu ! s’écria le nègre, osant à peine espérer qu’il se fût trompé.

— Vous faites erreur dans le nombre ; il y en a quatre, y compris, les deux cachorros. »