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Page:Garnir - Le Commandant Gardedieu, 1930.djvu/29

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Il poursuivit, s’animant davantage :

— Voyez-vous, mon commandant, ne plus trinqueballer tous les matins, en fumant ma torquette, par la rue du Miroir, cette rue où pas un Montois ne passe sans être relavé à coups de langue par les boutiquiers qui stationnent sur le seuil de leur porte ; ne plus servir la pratique ; ne plus peser, dans ma balance à fléau, des dix centimes de fin jaune, de fleur de comptoir ou d’Obourg demi-gros, c’est me mettre de mes propres mains dans la terre-à-pétotes…

Il parlait avec émotion…

— Oh ! je le sais bien : j’ai dit que je partirais avec lui, mais c’est qu’il m’avait parlé « de m’immoler sur l’autel de la patrie montoise » : il a la langue à la bouche, M. Tartarin et, quand il emploie comme ça des mots à soixante-quinze centimes, il retournerait le doyen de Ste-Waudru comme une peau de lapin… Seulement, depuis, je me suis ressaisi. Il est bien vrai que mon magasin de tabacs et cigares n’est plus que l’esquelette de lui-même, et que, depuis que tous les inventionneux de Mons l’ont transformé en blagorama, où mes cirages ne leur coûtent que la peine de les fumer, mon commerce est à l’eau ; mais j’aime mieux mourir de faim devant mes rayons vides que de ne plus entendre