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Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/13

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Miss Edgeworth, contemporaine de sir Walter Scott, et son précurseur dans les lettres[1], avait pour maxime que l’exemple du bien élève l’âme et l’attire irrésistiblement, tandis que la peinture du mal, en réveillant les mauvais instincts de notre nature, la pousse sur une pente fatale. Elle avait étudié le cœur humain chez l’enfant et chez l’homme ; elle savait jusqu’où peut conduire l’esprit d’imitation. Aussi reléguait-elle les laideurs au fond du tableau. Elle ne les admettait que comme repoussoir. C’est une des nombreuses différences qui la séparent des romanciers modernes. En étalant sur le premier plan les plaies sociales, ceux-ci mettent les chairs au vif, et irritent la souffrance qu’ils prétendent guérir. Je crois l’ancien procédé meilleur : Mrs Gaskell y reviendra.

Mary Barton fut bientôt suivie de Ruth. L’intérêt qui, dans le premier ouvrage, s’étendait à toute une classe, se concentre ici sur une ouvrière orpheline. Confinée avec ses compagnes dans une chambre étroite, dont l’atmosphère vicié empoisonne ses poumons, elle aspire de toutes les forces de sa jeunesse vers l’air pur et la liberté tout : en tirant l’aiguille du matin jusqu’au soir, elle rêve au vieux logis désert où sont ensevelies ses joies. Malheur à la pauvre enfant si elle rencontre sur sa route un de ces beaux fils de la fortune, qui n’ont d’autre loi que leur caprice, et sacrifient sans remords une vie à l’égoïste satisfaction d’une fantaisie passagère. Lâchement abandonnée par son séducteur, insultée par la mère qui confond l’erreur avec le vice,

  1. Voir ce que dit d’elle sir Walter Scott, dans la préface générale de ses Œuvres.