Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/61

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je me couperais la gorge. Il faut donc aller habiter la chambre grise. »

De cette seconde visite à Heathbridge, voilà presque tous les souvenirs que j’ai gardés ; n’omettons pas cependant l’office du dimanche matin, où la famille se rendit en corps.

Le ministre nous précédait, les mains derrière le dos, la tête penchée, songeant au discours qu’il allait prononcer. Je ne pus m’empêcher de remarquer les témoignages de respect que lui donnaient les personnes de toute condition, riches ou pauvres, et auxquelles il ne répondait que par un geste de main, sans jamais échanger le moindre propos avec n’importe qui.

Quant à Phillis, plus d’un regard d’admiration jeté sur elle par les jeunes gens que nous venions à rencontrer me la fit regarder aussi. Elle avait une robe blanche, un mantelet de soie noire selon la mode d’alors, plus un chapeau de paille décoré de rubans bruns. Ce qui manquait au costume, en fait de couleurs, était amplement compensé par le rose vif dont la marche avait animé ses joues et par l’éclat de ses yeux, dont le blanc même avait je ne sais quelle teinte bleuâtre ; ses longs cils noirs, dont je crois avoir déjà parlé, ajoutaient quelque profondeur à leur expression, d’ailleurs calme et sereine. Elle avait travaillé de son mieux à lisser ses cheveux d’or, rebelles néanmoins aux morsures du peigne, et bouclant en dépit de toute contrainte.

Si Phillis ne prenait pas garde aux hommages muets que lui attirait sa beauté naissante, la tante Holman, elle, s’en apercevait de reste. Sa physionomie, naturellement si paisible, m’apparut ce jour-là sous un nouvel aspect, fière et farouche tout à la fois, — heureuse de voir sa fille admirée, et pourtant hostile aux admirateurs, — enchantée qu’on la sût commise à la garde d’un