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Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/77

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votre excellent père ? Avez-vous toujours les mêmes scrupules ? On ne l’aurait pas dit il y a un moment.

— Phillis et moi nous nous comprenons à merveille, et cela suffit, répliquai-je avec un peu d’humeur. Fussions-nous seuls au monde, elle ne m’accepterait pas pour mari, et je ne sais trop ce qui pourrait me faire songer à réaliser les vœux de mon père… Nous ne nous en aimons pas moins comme frère et sœur.

— Laissez-moi m’étonner, non de ce que vous vous aimez ainsi, mais que vous estimiez si difficile d’aimer autrement une aussi belle personne. »

Une belle personne !… Était-ce bien de Phillis qu’on parlait ainsi ? Pour moi, ce n’était qu’une jolie enfant, passablement gauche, et le souvenir du tablier à manches était inséparable du portrait que je me faisais d’elle quand je ne l’avais plus sous les yeux.

Par un mouvement machinal, prenant la position que M. Holdsworth venait de quitter, je me retournai pour contempler cette « belle personne » qui lui semblait si digne d’admiration. Elle venait d’achever sa tâche, et, debout, les bras en l’air, elle tenait hors de portée de Royer, qui bondissait autour d’elle, sa corbeille et son grand bol de faïence. Lasse enfin de lui disputer cette proie qu’en jouant il semblait vouloir ravir, elle l’écarta par une feinte menace, et juste au moment où elle le chassait ainsi loin d’elle, venant à se retourner, elle nous aperçut à la fenêtre, nous qui la regardions comme on regarde les statues.

Si elle fut honteuse, je vous le laisse à penser.

Elle s’éloigna rapidement, suivie de Rover, pour qui le jeu continuait encore, et qui dessinait en courant de grands cercles autour d’elle.

« J’aurais voulu pouvoir la dessiner ainsi, » me dit Holdsworth en retournant son fauteuil.