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Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/191

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tante, un soir, profitant d’un tête-à-tête momentané, lui parla des inquiétudes qu’elle nourrissait secrètement au sujet de son mari.

« Depuis quelque temps, lui disait-elle, on recommence à causer de la press-gang, et cela le met hors de sens… Il semblerait que les mains lui démangent de tuer un ou deux de ces misérables… Je l’entends quelquefois, la nuit, se réveiller pour les maudire, et ses gestes convulsifs me font peur… Hier soir encore, n’a-t-il pas été dire à Sylvia que Charley Kinraid avait probablement été enlevé de cette manière ?… Il n’en fallait pas tant pour qu’elle recommençât à pleurer toutes les larmes de son corps. »

Philip alors prit involontairement la parole ; une force invisible semblait l’y pousser.

« Qui sait, disait-il, si cela n’est pas ? »

À peine ces mots avaient-ils franchi ses lèvres qu’il eût voulu se couper la langue avec les dents. Et pourtant ce fut un baume pour sa conscience que d’avoir ainsi rendu à la vérité une sorte d’hommage indirect.

Sa tante d’ailleurs repoussa bien loin (il s’y attendait peut-être), la suggestion qu’il venait de hasarder.

« Non, non, dit-elle, ce n’était pas un homme à rester malgré lui quelque part… Il se serait plutôt pendu ou noyé, mon mari en convient lui-même.

— Et qu’en dit Sylvia ? demanda Philip d’une voix émue.

— Elle s’en tient aux premières paroles de son père, et ne suppose pas qu’un gaillard si résolu se soit laissé violenter ainsi… C’est son indomptable courage qu’elle aimait en lui et, d’ailleurs, ne devant plus le revoir, elle préférerait, j’en suis sûre, qu’il fût noyé.

— À la bonne heure, » dit Philip, qui pour calmer les anxiétés de sa tante, lui promit, bien décidé à tenir parole, de ne jamais parler de la press-gang.