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Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/346

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serrant son manteau sur ses épaules frissonnantes, Hepburn avançait au milieu de la foule empressée et curieuse.

Ils furent arrêtés au coin d’une rue par un embarras de voitures qui faisait obstacle. Sur le trottoir de cette rue arrivait d’un pas alerte un officier de marine, ayant une dame au bras, et autour duquel rayonnait une atmosphère de santé, de gaieté sereines. Il s’arrêta pour regarder le cortége des blessés et, s’adressant à la jeune dame, lui dit quelques mots, parmi lesquels Philip distingua ceux-ci : « … le même uniforme. » Puis, la quittant pour un instant, il s’avança vers Philip, qui n’avait pas encore levé les yeux sur lui et aux oreilles duquel arrivèrent, comme une brise du pays natal, ces paroles accentuées à la manière des comtés du nord :

« Tenez, mon camarade, prenez ceci… » — C’était une couronne qu’il introduisait de force dans la main de Philip. — « Je voudrais avoir plus d’argent sur moi ; … cette pièce, au lieu d’être en argent, serait en or. »

Cette voix, cette prononciation étaient bien connues de Philip ; elles produisirent sur lui une sensation pareille au souvenir d’une maladie mortelle ; et bien qu’il sût déjà, sans pouvoir s’y méprendre, quel était son interlocuteur, il n’en tourna pas moins vers lui sa figure enveloppée. Oui, c’était bien là cet homme si favorisé par la nature et le sort, — cet homme dont il avait déjà sauvé une fois la vie, — qu’il arracherait de nouveau à la mort si l’occasion s’en présentait, — mais qu’il avait demandé à Dieu de ne plus rencontrer en ce bas monde.

Murmurant quelques paroles à voix basse, il voulait restituer son argent au capitaine Kinraid ; celui-ci, naturellement, se refusait à le reprendre, et la foule qui le sépara l’instant d’après mit fin au débat. Philip resta donc, tenant encore à la main cette obole qu’il était tenté de laisser tomber ; par bonheur, il pensa tout à