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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/16

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encore les moelleux contours, comme la fleur sur le fruit, et la chair en est si délicate que le jour la pénètre et l’illumine intérieurement.

Cet ovale d’une pâleur divine, accompagné de ses deux grappes de cheveux blonds, avec ses yeux noyés de vaporeuse langueur, et sa petite bouche enfantine que lustre un reflet humide, a un air de mélancolie pudique et de plaintive résignation bien singulière à pareille fête ; en voyant Musidora, l’on dirait une statue de la Pudeur placée par hasard dans un mauvais lieu.

Cependant, à l’observer attentivement, on finit par découvrir certains tours d’yeux un peu moins angéliques, et par voir frétiller au coin de cette bouche si tendrement rosée le bout de queue du dragon ; des fibrilles fauves rayent le fond de ces prunelles limpides, comme font les veines d’or dans un marbre antique, et donnent au regard quelque chose de doucereusement cruel qui sent la courtisane et la chatte ; quelquefois les sourcils ont un mouvement d’ondulation fébrile qui trahit une ardeur profonde et contenue, et la nacre de l’œil est trempée de moites lueurs comme par une larme qui se répand sans déborder.

La belle enfant est là, un bras pendant, l’autre étendu sur la table, la bouche à demi ouverte, son verre plein devant elle, le regard errant ; elle s’ennuie de cet ennui incommensurable que connaissent seuls les gens qui de bonne heure