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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/176

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de grands peignoirs d’étoffe moelleuse et tiède dont elles les enveloppèrent.

« Eh bien ! ma blanche naïade, dit Fortunio drapé dans son étoffe, n’avons-nous pas l’air de deux statues antiques ? ― Je fais un Triton passable, et l’eau douce n’a plus rien à envier maintenant à l’onde amère : il en est sorti une Vénus qui vaut bien l’autre. ― Pourquoi n’y a-t-il pas un Phidias sur le rivage ? le monde moderne aurait sa Vénus Anadyomène. ― Mais nos sculpteurs ne sont bons qu’à tailler des grès pour paver les rues ou des hommes illustres en habit à la française ; avec cette maudite civilisation, qui n’a d’autre but que de jucher sur un piédestal l’aristocratie des savetiers et des fabricants de chandelle, le sentiment de la forme se perd, et le bon Dieu sera obligé un de ces matins de quitter son fauteuil à la Voltaire pour venir repétrir la boule du monde, aplatie par ces populations de cuistres envieux de toute splendeur et de toute beauté qui forment les nations modernes. ― Un peuple tant soit peu civilisé dans le vrai sens du mot t’élèverait un temple et des statues, ma petite reine ; on te ferait déesse : la déesse Musidora, cela ne sonnerait pas mal.

― Mariée au dieu Fortunio, à la mairie et à l’église de l’Olympe ; sans quoi les divinités un peu prudes ne voudraient pas me recevoir à leurs soirées du mercredi ou du vendredi, » reprit Musidora en riant.