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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/229

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Il demanda l’heure, — on lui répondit qu’il était une heure moins un quart, ce qui lui parut décisif et sans réplique. Il se fit habiller et se mit à courir les rues ; en marchant, il réfléchit qu’il avait le cœur vide et sentit le besoin de faire une passion, comme on dit en argot parisien.

Cette louable résolution prise, il se posa les questions suivantes : « Aimerai-je une Espagnole au teint d’ambre, aux sourcils violents, aux cheveux de jais ? une Italienne aux linéaments antiques, aux paupières orangées cernant un regard de flamme ? une Française fluette avec un nez à la Roxelane et un pied de poupée ? une Juive rouge avec une peau bleu de ciel et des yeux verts ? une négresse noire comme la nuit et luisante comme un bronze neuf ? Aurai-je une passion brune ou une passion blonde ? Perplexité grande ! »

Comme il allait tête baissée, songeant à tout cela, il se cogna contre quelque chose de dur qui fit un saut en arrière en proférant un horrible jurement. Ce quelque chose était un peintre de ses amis : ils entrèrent tous deux au Musée. — Le peintre, grand enthousiaste de Rubens, s’arrêtait de préférence devant les toiles du Michel-Ange néerlandais qu’il louait avec une furie d’admiration tout à fait communicative. Tiburce, rassasié de la ligne grecque, du contour romain, du ton fauve de maîtres d’Italie, prenait plai-