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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/249

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était toujours présent pour lui. Il cherchait sérieusement dans sa tête les moyens d’animer cette beauté insensible et de la faire sortir de son cadre ; — il songea à Prométhée, qui ravit le feu du ciel pour donner une âme à son œuvre inerte ; à Pygmalion, qui sut trouver le moyen d’attendrir et d’échauffer un marbre ; il eut l’idée de se plonger dans l’océan sans fond des sciences occultes, afin de découvrir un enchantement assez puissant pour donner une vie et un corps à cette vaine apparence. Il délirait, il était fou : vous voyez bien qu’il était amoureux.

Sans arriver à ce degré d’exaltation, n’avez-vous pas vous-même été envahi par un sentiment de mélancolie inexprimable dans une galerie d’anciens maîtres, en songeant aux beautés disparues représentées par leurs tableaux ? Ne voudrait-on pas donner la vie à toutes ces figures pâles et silencieuses qui semblent rêver tristement sur l’outremer verdi ou le noir charbonné qui leur sert de fond ? Ces yeux, dont l’étincelle scintille plus vivement sous le voile de la vétusté, ont été copiés sur ceux d’une jeune princesse ou d’une belle courtisane dont il ne reste plus rien, pas même un seul grain de cendre ; ces bouches, entr’ouvertes par des sourires peints, rappellent de véritables sourires à jamais envolés. Quel dommage, en effet, que les femmes de Raphaël, de Corrège et de Titien ne soient que des ombres impalpables ! et pourquoi leurs modèle n’ont-