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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/41

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celui de Fortunio ; un bas de soie plus aérien qu’une toile d’araignée permettait de sentir toute la perfection et le poli d’ivoire de ce pied de Cendrillon.

« Croyez-vous, Fortunio, que je ne chausserais pas la pantoufle de votre princesse ? dit Musidora, les joues allumées du rose le plus vif, en pressant légèrement avec son pied le pied de Fortunio.

― Elle serait trop large pour vous, » répondit tranquillement Fortunio, et il se remit à boire sans plus de façons.

Ceci eût pu passer pour un compliment sans la mine indolente de Fortunio ; aussi Musidora n’en tira aucun augure favorable, et, voyant que tous ses efforts n’aboutissaient à rien, elle changea de batteries et se mit à jouer l’indifférence (sans toutefois retirer son pied) et ne causa plus qu’avec George. La froideur n’y fit pas plus que la galanterie : Fortunio ne lui adressait la parole que de loin en loin et par manière d’acquit. Cependant Musidora crut s’apercevoir que Fortunio serrait imperceptiblement son genou, mais elle reconnut bientôt son erreur.

Pendant toute cette stratégie, il n’est pas besoin de dire que le reste de l’assemblée buvait considérablement et se livrait à la plus triomphante bacchanale que l’on puisse imaginer. Le fashionable Alfred demandait la tête des tyrans et l’abolition de la traite des noirs, au grand