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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/542

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― Bien que la reine ait la pudeur craintive des femmes de l’Orient, et que nul homme, excepté son époux, n’ait vu les traits de son visage, la renommée aux cent langues et aux cent oreilles a publié partout ses louanges, dit Gygès en s’inclinant avec respect.

― Des bruits vagues, insignifiants. On dit d’elle, comme de toutes les femmes qui ne sont pas précisément laides, qu’elle est plus belle qu’Aphrodite ou qu’Hélène ; mais personne ne peut soupçonner, même lointainement, une pareille perfection. En vain j’ai supplié Nyssia de paraître sans voile dans quelque fête publique, dans quelque sacrifice solennel, ou de se montrer un instant accoudée sur la terrasse royale, donnant à son peuple l’immense bienfait d’un de ses aspects, lui faisant la prodigalité d’un de ses profils, plus généreuse en cela que les déesses, qui ne laissent voir à leurs adorateurs que de pâles simulacres d’albâtre et d’ivoire. Elle n’a jamais voulu y consentir. ― Chose étrange, et que je rougirais de t’avouer, cher Gygès : autrefois j’ai été jaloux ; j’aurais voulu cacher mes amours à tous les yeux ; nulle ombre n’était assez épaisse, nul mystère assez impénétrable. Maintenant je ne me reconnais plus, je n’ai ni les idées de l’amant ni celles de l’époux ; mon amour s’est fondu dans l’adoration comme une cire légère dans un brasier ardent. Tous les sentiments mesquins de jalousie ou de possession