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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/105

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UNE NUIT DU RAMADAN.

un fonctionnaire à cheval, précédé de son cawas et suivi de son porte-pipe, se frayait imperturbablement son chemin sans crier gare, ou qu’entrouvrait un talika horriblement cahoté par les cailloux et les fondrières, et conduit par un cocher à pied ; — je ne pouvais me rassasier de ce tableau si nouveau pour moi, et il était plus d’une heure du matin lorsque, guidé par mon compagnon, je me dirigeai vers l’embarcadère où nous attendait notre barque.

En nous en allant, nous traversâmes la cour d’Yeni-Djami, entourée d’une galerie de colonnes antiques surmontées d’arcs arabes d’un style superbe que la lune blanchissait de lumières argentées et baignait d’ombres bleuâtres ; sous les arcades gisaient, avec la tranquillité de gens qui sont chez eux, plusieurs groupes de gueux roulés dans leurs guenilles. Tout musulman qui n’a pas d’asile peut s’étendre, sans crainte des rondes de nuit, sur les marches des mosquées ; il y dormira aussi en sûreté qu’un mendiant espagnol sous un porche d’église.

La fête devait durer à Constantinople jusqu’au coup de canon qui annonce, avec le premier rayon de l’aurore, le retour du jeûne ; mais il était temps d’aller prendre un peu de repos, et il nous restait à opérer l’ascension de Top’Hané à Péra, exercice mélancolique après une journée de fatigue physique et d’éblouissement intellectuel. Les chiens grommelaient bien un peu à mon passage, me sentant Français et nouvellement débarqué ; mais ils s’apaisaient à quelques mots que mon ami leur disait en turc et me laissaient aller sans attenter à mes mollets ; grâce à lui, je rentrai à mon logis vierge de leurs crocs formidables.