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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/113

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CAFÉS.

nesque des reliefs. Au lieu de la tranquille muraille d’un café, on leur rêvait involontairement pour fond les âpres rochers d’une gorge de montagne, ou les noires anfractuosités d’une caverne de brigands, quoique ce fussent, après tout, les plus honnêtes gens du monde ; car des nez recourbés, de fortes couches de hâle, des sourcils en broussaille et des crânes à tons faisandés, ne font pas l’âme scélérate, et ces êtres d’apparence farouche humaient leur café et se livraient aux douceurs du kief avec une placidité étonnante pour des mortels si caractéristiques et si dignes de servir de modèle aux bandits de Salvator Rosa ou d’Adrien Guignet.

Leur accoutrement consistait en vieilles vestes posées à cru sur le torse, en larges culottes de toile à voile glacée de brai et de goudron, en ceintures rouges montant jusqu’aux aisselles, en tarbouches déteints, en guenilles tortillées autour de la tête, en savates éculées, en cabans grossièrement agrémentés, roidis dans l’eau de mer, confits dans le soleil, merveilleux haillons qui sont pittoresques et non misérables, défroques de lazzarone et non de pauvre, et dont les trous laissent voir des muscles d’acier et des chairs de bronze.

Presque tous ces marins avaient les bras tatoués de rouge et de bleu. L’homme le plus brut sent d’une manière instinctive que l’ornement trace une ligne infranchissable de démarcation entre lui et l’animal ; et, quand il ne peut pas broder ses habits, il brode sa peau. Cette coutume se retrouve partout : ce n’est pas la fille du potier Dibutade, traçant sur un mur l’ombre de son amant, mais le sauvage incrustant une arabesque dans son cuir fauve avec une arête de poisson, qui a inventé le dessin.

Je vis sur ces bras aux veines saillantes, aux biceps d’athlètes, d’abord le mach’allah talismanique qui préserve du mauvais œil si redouté en Orient, puis des cœurs en-