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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/118

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CONSTANTINOPLE.

nés, niellés, guillochés d’une façon merveilleuse, et d’un galbe aussi élégant que celui des plus purs vases antiques ; les grenats, les turquoises, les coraux et d’autres pierres plus précieuses en étoilent souvent les capricieuses arabesques, vous fumez dans un chef-d’œuvre un tabac métamorphosé en parfum, et je ne vois pas ce que la duchesse la plus aristocratiquement dédaigneuse pourrait objecter à ce passe-temps qui procure aux sultanes de longues heures ce kief et d’heureux oubli au bord des fontaines de marbre, sous le treillage des kiosques.

Les marchands de tabac, à Constantinople, s’appellent tutungis. Ils sont, pour la plupart, Grecs ou Arméniens ; dans la première catégorie ils viennent de Janina, de Larisse, de Salonique ; dans la seconde, de Samsoun, de Trébizonde, d’Erzeroum ; ils ont des manières fort engageantes, et quelquefois, surtout dans les soirs du Ramadan, des vizirs, des pachas, des beys et autres grands dignitaires, s’assoient familièrement dans leurs boutiques, pour fumer, causer et apprendre les nouvelles, sur de petits tabourets ou sur des balles de tabac, comme les membres du parlement sur leurs sacs de laine.

Chose singulière ! le tabac, aujourd’hui d’un usage si universel dans l’Orient, a été, de la part de certains sultans, l’objet des interdictions les plus rigoureuses ; plus d’un Turc a payé de sa vie le plaisir de fumer, et le féroce Amurat IV a fait plus d’une fois tomber la tête du fumeur avec la pipe ; le café a eu des débuts non moins sanglants à Constantinople : il a fait des fanatiques et des martyrs.

On apporte, dans la moderne Byzance, un soin extrême et souvent un grand luxe à tout ce qui regarde la pipe, le plaisir favori du Turc. Les boutiques de marchands de tuyaux de pipe, de lulés et de bouquins sont très-nombreuses et bien approvisionnées. Les tuyaux les plus esti-