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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/12

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CONSTANTINOPLE.

de rester, et ceux qui vous aiment n’essayent pas de vous retenir et vous serrent silencieusement la main sur le marchepied de la voiture. En effet, ne faut-il pas parcourir un peu la planète sur laquelle nous gravitons à travers l’immensité, jusqu’à ce que le mystérieux auteur nous transporte dans un monde nouveau pour nous faire lire une autre page de son œuvre infinie ? N’est-ce pas une coupable paresse d’épeler toujours le même mot sans jamais tourner le feuillet ? Quel poëte serait satisfait de voir le lecteur s’en tenir à une seule de ses strophes ? Ainsi chaque année, à moins d’être cloué sur place par les nécessités les plus impérieuses, je lis un pays de ce vaste univers qui me paraît moins grand à mesure que je le parcours et qu’il se dégage des vagues cosmographies de l’imagination. Sans aller précisément au Saint-Sépulcre, à Saint-Jacques-de-Compostelle, à la Mecque, je fais un pieux pèlerinage aux endroits de la terre où la beauté des sites rend Dieu plus visible ; cette fois je verrai la Turquie, la Grèce et un peu cette Asie hellénique où la beauté des formes s’unit aux splendeurs orientales. Mais terminons là cette courte préface (les moins longues sont les meilleures), et mettons-nous en route sans plus tarder.


Si j’étais un Chinois ou un Indien arrivant de Nanking ou de Calcutta, je vous décrirais avec soin et prolixité le chemin de Paris à Marseille, le rail-way de Châlons, et la Saône, et le Rhône, et Avignon ; mais vous les connaissez aussi bien que moi, et d’ailleurs, pour voyager dans un pays, il faut être étranger : la comparaison des différences produit les remarques. Qui de nous noterait qu’en France les hommes donnent le bras aux femmes, particularité qui étonne un habitant du Céleste empire ? Supposez donc, sans transition, que je suis sur le port, et que le Léonidas chauffe en par-