Aller au contenu

Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
LES BOUTIQUES.

perceptible, mais qui n’en remplissent pas moins bien leur office et sont aussi doux à la lèvre.

Il y a aussi des imitations d’ambre en verre coloré de Bohême, dont on fait un grand débit, et qui coûtent très-peu de chose ; mais ces faux bouquins ne servent qu’aux Grecs ou aux Arméniens de la plus basse classe. À tout Turc qui se respecte, on peut appliquer le vers de Namouna, ainsi modifié :

Heureux Turc ! il fumait de l’orta dans de l’ambre.

J’espère que mes lectrices ne m’en voudront pas de tous ces détails de tabac et de pipe où me force l’exactitude du voyageur, car Constantinople s’enveloppe d’un nuage de fumée perpétuel, plus opaque que celui où cheminaient les dieux d’Homère.

Cette flânerie à travers rues fait malgré moi vagabonder ma plume ; la phrase suit la phrase comme le pas suit le pas ; la transition manque, je le sens, entre tant d’objets disparates, mais il serait peut-être inutile de la chercher ; acceptez donc tous ces petits détails caractéristiques, habituellement négligés par les voyageurs, comme des verroteries de couleurs diverses réunies sans symétrie par le même fil, et qui, si elles sont sans valeur, ont au moins le mérite d’une certaine baroquerie sauvage.

Près d’un magasin de bouquins d’ambre, j’aperçois une petite boutique de confiseur dont la montre, à défaut de splendeur, offre au moins de l’originalité : un bateau à vapeur en sucre, avec ses roues et sa fumée, figure à côté d’un petit berceau d’enfant de même matière ; un derviche tourneur, les bras étendus, la tête penchée, et d’un style plus primitif encore que celui des bas-reliefs en pain d’épice, effleure des plis de sa jupe volante un lion chimérique qui a la crinière verte, le toupet bleu, la queue rose, et rappelle