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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/132

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CONSTANTINOPLE.

de cygnes et de soie floche, impossibles pour des pieds européens. Il y en a qui sont cambrées et relevées du bec comme des gondoles vénitiennes ; d’autres désespéreraient Rhodope et Cendrillon par leur mignonne petitesse, et ont plutôt l’air d’étuis à bijoux que de pantoufles vraisemblables ; le jaune, le rouge, le vert disparaissent sous les cannetilles d’or et d’argent. Les souliers des enfants sont l’objet des plus charmants caprices de forme et d’ornementation. Pour la rue, les femmes se servent de bottes de maroquin jaune dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ; car toutes ces jolies merveilles, faites pour les nattes de l’Inde et les tapis de Perse, resteraient bien vite engluées dans les boues de Constantinople.

Voilà les marchands de caftans, de gandouras et de robes de chambre en soie de Brousse. Ces costumes coûtent un prix très-modique, quoique les couleurs en soient d’un ton charmant et les tissus d’une souplesse extrême. Je regrette fort de n’avoir point acheté un grand dolman cerise fait de filets paille, à longues manches pendantes, qui m’aurait donné à Paris un air de mamamouchi très-respectable, et dans lequel j’eusse paru aussi beau que M. Jourdain pendant la cérémonie. Mais les douanes sont peu indulgentes pour ces innocentes fantaisies de voyageur. — Ces marchands vendent aussi des étoffes de Brousse, moitié soie et moitié fil, pour robes, gilets et pantalons à la mode européenne, très-fraîches, très-légères et très-coquettes. Cette industrie est nouvelle et vit par la protection d’Abdul-Medjid.

Les drapiers étalent des draps anglais aux couleurs criardes dont les lisières sont chamarrées de grosses lettres d’or et d’armoiries en paillon de cuivre, pour flatter le goût oriental. On y reconnaît la perfection bête de la mécanique et la fausseté de ton naturelle de la Grande-Bretagne. J’avoue que de pareilles dissonances me font grincer les dents, et