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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/135

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LES BAZARS.

Ces pierres sont en général des cabochons, car les Orientaux ne taillent ni le diamant ni le rubis, soit qu’ils ne connaissent pas la poudre à égriser, soit qu’ils craignent de diminuer le nombre des carats en abattant les angles des pierres. Les montures sont assez lourdes et d’un goût génois ou rococo. L’art si fin, si élégant et si pur des Arabes a laissé peu de traces chez les Turcs. Ces joyaux consistent principalement en colliers, boucles d’oreilles, ornements de tête, étoiles, fleurs, croissants, bracelets, anneaux de jambe, manches de sabre et de poignard ; mais ils ne se révèlent dans tout leur éclat qu’au fond des harems, sur la tête et la poitrine des odalisques, sous les yeux du maître, accroupi dans un angle du divan, et tout ce luxe est, pour l’étranger, comme s’il n’existait pas. Quoique l’opulence des phrases précédentes, constellées de noms de pierreries, ait pu vous faire penser au trésor d’Haroun-al-Raschid et à la cave d’Aboulcasem, n’imaginez rien d’éblouissant et de jetant à droite et gauche de folles bluettes de lumière. Les Turcs n’entendent pas l’étalage comme Fossin, Lemonnier, Marlet ou Bapst ; et les diamants bruts, jetés à poignées dans de petites sébiles de bois, ont l’apparence de grains de verre ; et pourtant on pourrait aisément dépenser un million dans une de ces boutiques de deux sous.

Le bazar des armes peut être considéré comme le cœur même de l’Islam. Aucune des idées nouvelles n’a franchi son seuil ; le vieux parti turc y siége gravement accroupi, professant pour les chiens de chrétiens un mépris aussi profond qu’au temps de Mahomet II. Le temps n’a pas marché pour ces dignes Osmanlis, qui regrettent les janissaires et l’ancienne barbarie, — peut-être avec raison. Là se retrouvent les grands turbans évasés, les dolimans bordés de fourrure, les larges pantalons à la mameluk, les hautes ceintures et le pur costume classique, tel qu’on le voit dans la