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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/137

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LES BAZARS.

dignes descendants des Dahis, des Rabrâ, des Haffar et des Naâmah, et autres illustrations équestres de l’ancien turf islamite.

Chose remarquable pour l’insouciance musulmane, ce bazar est considéré comme si précieux, qu’il n’est pas permis d’y fumer ; — ce mot dit tout, car le Turc fataliste allumerait sa pipe sur une poudrière.

Pour donner un repoussoir à ces magnificences, parlons un peu du bazar des Poux. C’est la morgue, le charnier, l’équarrissoir où vont finir toutes ces belles choses, après avoir subi les diverses phases de la décadence. Le caftan qui a brillé sur les épaules du vizir ou du pacha achève sa carrière sur le dos d’un hammal ou d’un calfat ; la veste, où se moulaient les charmes opulents d’une Géorgienne du harem, enveloppe, souillée et flétrie, la carcasse momifiée d’une vieille mendiante. — C’est un incroyable fouillis de loques, de guenilles, de haillons, où tout ce qui n’est pas trou est tache ; tout cela pendille flasquement, sinistrement, à des clous rouillés, avec cette vague apparence humaine que conservent les habits longtemps portés, et grouille, remué vaguement par la vermine. Autrefois la peste se cachait sous les plis fripés de ces indescriptibles défroques maculées de la sanie des bubons, et s’y tenait tapie comme une araignée noire au fond de sa toile poussiéreuse, dans quelque angle immonde.

Le Rastro de Madrid, le Temple de Paris, l’ancienne Alsace de Londres, ne sont rien à côté de ce Montfaucon de la friperie orientale, qualifié par le nom significatif que je ne répéterai pas et que j’ai dit là-haut.

J’espère qu’on me pardonnera cette description fourmillante en faveur des pierreries, des brocarts, des flacons d’essence de roses de mon commencement ; — d’ailleurs, le voyageur est comme le médecin, il peut tout dire.