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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/153

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LES DERVICHES HURLEURS.

en partance pour quelque lointaine caravane, et, à travers cette foule mouvante et bigarrée, j’arrive avec mes compagnons dans le haut Scutari, au tekké des derviches hurleurs.

Il est trop tôt. L’heure turque, se comptant à partir du lever du soleil, ne coïncide pas avec l’heure française, et demande des supputations perpétuelles, causes de nombreuses erreurs, surtout dans les premiers temps. En attendant, nous allons prendre du café, fumer un chibouck et boire des verres d’eau sur les bancs extérieurs d’un café situé à l’entrée du cimetière. Nous sommes servis par un petit garçon aux yeux vifs, à la mine intelligente, qui se multiplie et suffit aux demandes souvent opposées des consommateurs. Il apporte souvent du feu d’une main et de l’autre de l’eau, comme les petits génies des initiations antiques voltigeant sur le fond brun des vases étrusques.

Ayant épuisé toutes les ressources que peut offrir le café turc à un désœuvrement forcé, nous entrâmes dans la cour du tekké, ornée d’une fontaine en forme de tombeau, rappelant ces cercueils à dos d’âne recouverts de cachemire, qu’on aperçoit, à travers les grillages, dans les Turbés (chapelles funèbres) des sultans. Un marchand de gâteaux faits avec de la fécule de riz, et qu’on mange arrosés de quelques gouttes d’eau de cerise ou d’eau de rose, nous fournit un moyen d’apaiser ou plutôt de tromper notre appétit, éveillé par l’air de la mer, l’attente et l’espace de temps écoulé depuis un déjeuner frugal, mais détestable, fait le matin à Constantinople. Ce marchand trimbalait ses gâteaux sur un plateau de fer-blanc très-propre, posé devant lui en forme d’éventaire, et sa marchandise, qu’eût sans doute critiquée Brillat-Savarin ou Carême, avait au moins le mérite de n’être pas chère. Pour quelques menues pièces de monnaie, on pouvait s’en rassasier.

Près de la porte du tekké se tenait assis un personnage