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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/179

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KARAGHEUZ.

courbe sur une barbe noire, courte, frisée, projetée en avant par un menton de galoche. Un épais sourcil trace une raie d’encre au-dessus de son œil vu de face dans sa tête de profil, avec une hardiesse de dessin toute byzantine ; sa physionomie présente un mélange de bêtise, de luxure et d’astuce, car il est à la fois Prud’homme, Priape et Robert Macaire ; un turban à l’ancienne mode coiffe son crâne rasé qu’il quitte à toute minute, moyen comique qui ne manque jamais son effet ; une veste, un gilet de couleurs bigarrées, des pantalons larges, complètent son costume. Ses bras et ses jambes sont mobiles.

Karagheuz diffère des fantoccini de Séraphin en ce que, au lieu de se détacher en noir opaque sur le papier huilé, il est peint de couleurs transparentes, comme les figures de la lanterne magique. Je n’en saurais donner une idée plus juste que celle d’un personnage de vitrail qu’on détacherait de la verrière avec l’armature de plomb qui le circonscrit et le dessine. Sur des traits noirs qui forment les lignes et les ombres, et sont faits de carton, de fer-blanc ou de toute autre matière résistante, s’appliquent des pellicules translucides teintes en vert, en bleu, en jaune, en rouge, selon la couleur du vêtement ou de l’objet qu’on représente. Les fantoches javanais se rapprochent donc beaucoup plus de Karagheuz que les ombres chinoises. Mais en voici assez sur la structure et le coloriage du polichinelle turc. Cette explication une fois faite servira pour tous les autres acteurs, construits d’après les mêmes principes.

Tout comme un prince de tragédie, Karagheuz a un confident nommé Hadji-aïvat, mi-parti de Mascarille et de Bertrand, auxiliaire douteux qui lui donne la réplique et se moque de lui en le servant : Karagheuz ne peut se concevoir sans Hadji-aïvat, pas plus qu’Oreste sans Pylade, Euryale sans Nisus, Castor sans Pollux, et leur dualité fri-