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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/182

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CONSTANTINOPLE.

plastron à toutes les plaisanteries et à toutes les mystifications ; on parodie leur style et leur prononciation emphatique, leur attitude gauchement roide, leur costume étrange et la masse d’armes qu’ils portent toujours au poing, comme des héros du Schah-Nameh, même dans les situations qui nécessitent le moins cet appareil guerrier. Probablement qu’en Perse le personnage ridicule est un Turc, juste compensation de cette aménité de peuple à peuple.

Mon ami polyglotte me traduisait çà et là quelques-uns des passages saillants ; mais il est impossible de donner dans notre langue la moindre idée de ces plaisanteries énormes, de ces gaudrioles hyperboliques, qui nécessiteraient, pour être rendues, le dictionnaire de Rabelais, de Beroalde, d’Eutrapel, flanqué du catéchisme poissard de Vadé. — Cependant le Karagheuz du grand Champ-des-Morts a subi la censure, ou pour mieux dire la castration : il dit des obscénités, mais il n’en fait plus ; la morale l’a désarmé ; c’est un polichinelle sans bâton, un satyre sans cornes, un dieu de Lampsaque à l’état d’Abeilard, et, au lieu d’agir, il met en récits de Théramène ses lubriques exploits. C’est plus classique ; mais, franchement, c’est plus ennuyeux, et l’originalité du type y perd beaucoup.

Le dialogue est entremêlé de morceaux de poésie et d’ariettes dans le genre des couplets de vaudeville, miaulés sur des airs extravagants et soutenus d’un féroce accompagnement de tambour de basque.

Le Mariage de Karagheuz est une pièce à spectacle. Karagheuz a vu une jeune fille charmante, et comme il est d’une nature très-inflammable, il a conçu pour elle une passion des plus vives. — Notons, en passant, que les figurines de femme ont la face découverte, contrairement à l’usage turc. — L’idéal de Karagheuz est en vérité une assez jolie ombre chinoise aux yeux teints de surmeh, à la bouche