Aller au contenu

Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
DÎNER TURC.

Son costume, très-simple, se composait d’une espèce de paletot sac en drap bleu foncé, d’un pantalon de moire blanche, de bottes vernies et d’un fez où l’aigrette impériale de plumes de héron était fixée par un bouton d’énormes diamants ; par l’interstice de son paletot on voyait briller quelques dorures sur sa poitrine ; je regrette fort, pour ma pan, l’ancienne magnificence asiatique ; j’aimais les sultans impassibles comme des idoles dans des châsses de pierreries, espèces de paons du pouvoir épanouis au milieu d’une auréole de soleils. Dans les pays d’autorité absolue, le souverain ne saurait se séparer assez de l’humanité par des formes imposantes, solennelles, hiératiques, par un luxe éblouissant, chimérique et fabuleux ; comme Dieu à Moïse, il ne doit apparaître à ses peuples qu’à travers un buisson ardent de diamants en phosphorescence. — Cependant, malgré la simplicité austère de ses habits, la qualité d’Abdul-Medjid ne pouvait être un mystère pour personne. Une satiété suprême se lisait sur sa figure pâle ; la conscience d’un pouvoir irrésistible donnait à ses traits, assez peu réguliers d’ailleurs, une tranquillité de marbre. Ses yeux fixes, immuables, à la fois perçants et mornes, voyant tout et ne regardant rien, ne ressemblaient pas à des yeux d’homme ; une barbe courte, peu épaisse et brune, entourait ce masque triste, impérieux et doux.

En quelques pas faits avec une extrême lenteur, et plutôt glissés que marchés, — des pas de dieu ou de fantôme ne se mouvant pas par des procédés humains. — Abdul-Medjid franchit l’espace qui séparait la porte de la mosquée du bloc le marbre, en suivant la bande d’étoffe noire sur laquelle personne autre que lui ne posait le pied, et se laissa couler plutôt qu’il ne monta sur la housse de son cheval, immobile comme un cheval sculpté. Les gros officiers se hissèrent un peu plus difficultueusement au haut de leurs bêtes res-