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CONSTANTINOPLE.

national comme le puchero espagnol, comme le couscoussou arabe, comme la choucroute allemande, comme le plum-pudding anglais, qui figure obligatoirement à tous les repas dans le palais et dans la chaumière. Pour boisson, l’on buvait de l’eau, du sherbet et du jus de cerise qu’on puisait dans un compotier avec une cuiller d’écaille à manche d’ivoire.

Le festin terminé, l’on emporta le plateau de cuivre, l’on donna à laver, cérémonie indispensable lorsqu’on a dîné sans autre argenterie que les dix doigts ; l’on servit du café, et le chibouckdji présenta à chaque convive une belle pipe au gros bouquin d’ambre, au tuyau de cerisier lisse comme du satin, au lulé chaperonné d’une belle touffe blonde de tabac de Macédoine enlevée d’un seul coup et reposant sur un rond de métal posé à terre, pour préserver la natte des charbons et des cendres qui pourraient tomber du fourneau.

La conversation s’engagea aussi animée qu’elle peut l’être quand on ne parle que par trucheman. L’ex-pacha, qui paraissait assez au courant de la politique européenne, me fit une foule de questions sur le coup d’État du 2 décembre, qu’il approuvait fort, l’idée abstraite de la République entrant avec peine dans une tête façonnée au despotisme oriental ; — il me demanda si le président (l’empire n’était pas encore proclamé) possédait beaucoup de canons et commandait à un grand nombre de troupes, quel uniforme il portait, s’il montait bien à cheval et s’il allait faire la guerre comme son oncle Bounaberdi, si je le connaissais, si je lui avais parlé, et autres interrogations de ce goût, que je satisfis de mon mieux. Le frère de l’ex-pacha, assis près de lui, et qui savait quelques mots de français, paraissait suivre la conversation avec intérêt.

Les domestiques emportèrent les pipes ; — l’ex-pacha se