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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/239

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BAIN TURC.

particulières. Cet immonde aliment a pour eux l’avantage de ne coûter presque rien.

En face, de l’autre côté de la Corne-d’Or, sur une pente aride, pelée, poussiéreuse, s’étend le cimetière qui absorbe leurs générations malsaines. Le soleil brûle les pierres informes de leurs tombes où ne pousse pas un brin d’herbe et que n’abrite pas un seul arbre. Les Turcs n’ont pas voulu accorder cette douceur à leurs charognes proscrites et ont tenu à garder au Champ-des-Morts juif l’aspect d’une voirie : à peine leur est-il permis de graver quelque mystérieux caractère hébraïque sur les cubes qui mamelonnent de leurs rugosités cette colline désolée et maudite.

Quelle différence entre ces poupées souffreteuses dont on ne peut discerner l’âge et les splendides juives de Constantine, qui s’avancent belles comme la reine de Saba et parées comme elle dans leurs dalmatiques de damas mi-parti, avec leurs ceintures à plaque de métal, leurs chaînettes d’or et leur bandeau brodé de paillon ! — C’est pourtant la même race, mais on ne le dirait guère. Les unes pourraient poser pour les madones de Raphaël ; Rembrandt seul serait capable de faire figurer les autres dans quelque scène magique, en les dorant, sur un fond de bitume, de ces merveilleux tons de hareng saur dont Amsterdam lui a donné le secret.

Le même abaissement de race se remarque aussi chez les hommes : aucun n’a cette pureté de type commune chez les juifs d’Afrique, qui semblent avoir conservé le primitif cachet oriental.

Les Turcs, qui admettent Aïssa (Jésus) comme un prophète, font payer cruellement sa mort aux Juifs ; cependant il faut dire qu’on ne les maltraite plus comme autrefois, et que leurs vies et leurs fortunes sont à peu près en sûreté contre les avanies et les extorsions ; mais ce peuple immuable dans sa crasse ne s’est pas encore rassuré et conti-