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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/265

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LES INCENDIES.

rent, peut-être naturellement, peut-être pour cette raison.

Avec une ville presque toute construite en bois et la négligence, résultat du fatalisme turc, l’incendie peut être considéré comme un fait normal à Constantinople. Une maison ayant une soixantaine d’années de date est une rareté. Excepté les mosquées, les aqueducs, les murailles et les fontaines, quelques maisons grecques du Phanar, quelques constructions génoises à Galata, tout est en planches ; les âges disparus n’ont laissé aucun témoignage sur ce sol, perpétuellement balayé par la flamme ; la face de la ville se renouvelle entièrement chaque demi-siècle, sans varier pourtant beaucoup. Je ne parle pas de Péra, Marseille d’Orient, qui, sur la place de chaque baraque de bois brûlée, élève aussitôt une solide maison de pierre, et qui sera bientôt une ville tout à fait européenne.

Au sommet de la tour du Seraskier, phare blanc d’une hauteur prodigieuse, s’élevant dans l’azur, non loin des dômes et des minarets du sultan Bayezid, tourne perpétuellement une vigie qui regarde si, dans l’immense horizon déroulé en panorama à ses pieds, quelque fumée noire, quelque langue rouge ne jaillit pas par l’interstice d’un toit. Quand la vigie aperçoit un commencement d’incendie, on suspend au haut du phare un panier si c’est le jour, une lanterne si c’est la nuit, avec une certaine combinaison de signaux qui indique le quartier de la ville ; le canon tonne, et le cri lugubre : Stamboul hiangin var ! retentit sinistrement par les rues, tout le monde s’émeut, et les porteurs d’eau (saccas), qui sont en même temps les pompiers, s’élancent au pas de course dans la direction désignée par la vedette.

Une vigie pareille est établie sur la tour de Galata, qui fait presque face, de l’autre côté de la Corne-d’Or, à la tour du Seraskier.