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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/287

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LE SÉRAIL.

ses souliers, ce qui est peut-être plus rationnel, — car on doit laisser au seuil la poussière de ses pieds.

Le sérail ou seraï, comme disent les Turcs, occupe de ses bâtiments irréguliers ce terrain triangulaire que lavent d’un côté les flots de la mer de Marmara, et de l’autre ceux de la Corne-d’Or. Une muraille crénelée circonscrit l’enceinte, qui couvre une vaste étendue. Une berge dallée de quelques pieds de large règne sur les deux faces qui regardent la mer. Le courant extérieur se précipite avec une impétuosité extraordinaire ; — les eaux bleues bouillonnent comme si elles se gonflaient sur une chaudière, et font danser au soleil des millions de folles paillettes ; elles sont, du reste, d’une transparence singulière, et laissent apercevoir le fond de roches vertes ou de sable blanc à travers un tumulte de rayons brisés. Les barques ne peuvent remonter ces rapides qu’au cordeau.

Au-dessus des murailles généralement dégradées et mélangées de blocs venant de constructions antiques démolies, s’aperçoivent des bâtiments aux fenêtres grillagées très-menu, des kiosques d’un goût chinois ou rococo, des pointes de cyprès et des touffes de platanes. Sur le tout pèse un air de solitude et d’abandon ; on ne croirait pas que derrière cette enceinte morne vit le glorieux calife, le tout-puissant souverain de l’Islam.

On entre dans le sérail par une porte d’architecture très-simple, gardée par quelques soldats. Sous cette porte, dans de magnifiques armoires d’acajou garnies de râteliers, sont déposés des fusils rangés avec un ordre parfait. La porte franchie, notre petite bande, précédée d’un officier du palais, d’un cawas et du drogman, traversa une sorte de jardin vague et montueux, planté d’énormes cyprès, — un cimetière moins les tombes, — et arriva bientôt à l’entrée des appartements.