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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/360

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CONSTANTINOPLE.

Thérapia est un séjour délicieux ; son quai est bordé de cafés décorés avec un certain luxe, chose rare en Turquie, d’auberges, de maisons de plaisance et de jardins. — Dans un passage qui conduit au débarcadère, je remarquai parmi les pierres de la muraille deux torses de marbre, l’un d’homme vêtu d’une cuirasse antique, l’autre de femme, voilé de draperies assez frustes que les constructeurs barbares avaient encastrées au milieu des moellons comme de vulgaires matériaux.

Dans la rade était mouillé le Chaptal, commandé par M. Poultier, à qui j’allai rendre visite, et qui me reçut avec cette bonhommie affectueuse qui lui est propre, et cette exquise politesse commune à tous les officiers de marine.

Le palais de l’ambassade de France, que M. Renaud doit reconstruire avec plus de solidité, de richesse et de goût, est un grand bâtiment à la turque, tout en bois et en pisé, sans aucun mérite architectural, mais vaste, aéré, commode, d’une fraîcheur à l’abri des plus violentes ardeurs de l’été et dans la plus admirable situation du monde.

Derrière le palais se développent des jardins en terrasse, plantés d’arbres centenaires d’une hauteur prodigieuse, incessamment agités par les brises de la mer Noire. Arrivé au remblai supérieur, on jouit d’une perspective merveilleuse. La rive d’Asie étale devant vous les frais ombrages des Eaux de la Sultane, plus loin bleuit le mont du Géant, où la tradition place le lit d’Hercule. Sur la rive d’Europe, Buyuk-Déré arrondit sa courbe gracieuse, et le Bosphore, au-delà de Rouméli-Kavak et d’Anadoli-Kavak, s’évase jusqu’aux îles Cyanées, et se perd dans la mer Noire. — Des voiles blanches vont et viennent comme des oiseaux marins, et la pensée s’égare dans un rêve infini.