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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/42

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CONSTANTINOPLE.

ses passagers pussent jouir d’un détail si gracieux, quand même toutes les potences de l’île eussent été garnies en ce moment.

Les anciens ont-ils menti et supposé des sites ravissants là où n’existent maintenant qu’un îlot pierreux et qu’une terre pelée ? Il est difficile de croire que leurs descriptions, dont il était facile alors de vérifier l’exactitude, soient de pure fantaisie. Sans doute, ce sol fatigué par l’activité humaine s’est épuisé à la longue ; il est mort avec la civilisation qu’il supportait, exténué de chefs-d’œuvre, de génie et d’héroïsme. Ce que nous en voyons n’est plus que son squelette : la peau, les muscles, tout est tombé en poussière. Quand l’âme se retire d’un pays, il meurt comme un corps, — autrement, comment expliquer une différence si complète et si générale, car ce que je viens de dire peut s’appliquer à presque toute la Grèce ; cependant, ces côtes, quelque désolées qu’elles soient, ont encore de belles lignes et de pures couleurs.

On passe entre Cerigo et Servi, autre île de pierre ponce, et l’on double le cap Malia ou Saint-Ange, et l’on débusque dans l’archipel ; l’horizon se peuple de voiles, les bricks, les goëlettes, les caravelles, les argosils, sillonnent l’eau bleue dans tous les sens ; il fait un temps admirable ; ni roulis ni tangage. Une faible brise gonfle légèrement notre misaine et aide un peu nos roues, qui fouettent de leurs palettes une mer unie comme la glace, où devraient nager les cortéges mythologiques d’Amphitrite et de Galatée, et que ne rident pas même les sauts des marsouins, ces tritons de l’histoire naturelle, qui, à distance, peuvent produire l’illusion de dieux marins. La terre a fui et ne se montre plus que comme un brouillard au bord du ciel ; puisqu’il n’y a rien à voir au loin, examinons un peu les nouveaux hôtes embarqués à Malte.