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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/93

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LE PETIT-CHAMP, LA CORNE-D’OR.

forteresses et crénelé leur quartier comme une ville de guerre ; leurs comptoirs auraient pu soutenir des siéges, et ils en ont soutenu plus d’un.

Au sommet de la colline occupée par le Petit-Champ règne un large chemin bordé d’un côté de maisons qui jouissent d’une vue admirable : je le suivis jusqu’à un angle où s’élève un vieux cyprès au tronc veiné de vigoureuses nervures, et je me trouvai bientôt en face de ma rue, assez las et mourant de faim.

On me servit un dîner qu’on avait été chercher à la locanda voisine, et qui calma bien vite mon appétit, plutôt par le dégoût que par la satisfaction de ma faim, bien légitime, hélas ! Je n’ai pas l’habitude de faire des élégies sur mes déceptions culinaires en voyages, et une omelette chevelue aromatisée de beurre rance est un léger malheur que je ne cherche pas à élever à l’état de catastrophe publique, comme certains touristes trop gastronomes ; mais je constate ici en passant que cette première révélation de la cuisine constantinopolitaine me parut d’un triste augure pour l’avenir. L’Espagne m’a accoutumé au vin sentant le bouc de la poix, et je me résignai assez facilement au vin noir de Tenedos apporté dans une peau de chevreau ; mais l’eau jaune et saumâtre, charriant la rouille des vieux aqueducs, me fit regretter les gargoulettes d’Alger et les alcarrazas de Grenade.