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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/99

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UNE NUIT DU RAMADAN.

foule augmentait et devenait compacte ; les boutiques, vivement éclairées, illuminaient la voie publique, envahie par des Turcs accroupis à terre ou sur des tabourets bas et fumant avec la volupté que donne un jour d’abstinence ; c’était un va-et-vient, un fourmillement perpétuel le plus animé et le plus pittoresque du monde ; car, entre ces deux rives de fumeurs immobiles, coulait un ruisseau de promeneurs de toute nation, de tout sexe et de tout âge.

Portés par le flot, nous arrivâmes sur la place de Top’Hané, en traversant la cour à arcades de la mosquée, qui, de ce côté, forme le coin, et nous nous trouvâmes en face de cette charmante fontaine de style arabe que les gravures anglaises ont rendue familière à tout le monde, et qu’on a décoiffée de son joli toit chinois, remplacé maintenant par une ignoble balustrade en fer creux.

Le Bal masqué de Gustave n’offre pas une plus grande variété de costume que la place de Top’Hané pendant une nuit du Ramadan : les Bulgares, avec leur grossier sayon et leur bonnet cerclé d’une couronne de fourrure, accoutrement qui ne doit pas avoir changé depuis le paysan du Danube ; les Circassiens, à la taille svelte et à la poitrine évasée, tuyautés de cartouches qui les font ressembler à des buffets d’orgue ; les Géorgiens, à la courte tunique serrée d’un cercle de métal, à la casquette russe en cuir verni, les Arnautes, portant une veste brodée et sans manches sur leur torse nu ; les juifs, désignés par leur robe fendue sur le côté et leur calotte noire entourée d’un mouchoir bleu ; les Grecs des îles, avec leurs immenses grègues, leurs ceintures sanglées et leur tarbouch à crinière de soie ; les Turcs de la réforme, en redingote droite et en fez rouge ; les vieux Turcs, au turban évasé, au caftan rose, jonquille, cannelle ou bleu-de-ciel, rappelant les modes du temps des janissaires ; les Persans, au grand bonnet d’agneau noir d’Astracan ; les