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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/145

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

teinte transparente. Ici le jour est dessus et vient de tous les côtés ; le socle, en outre, est trop bas, et pour voir la statue à son véritable point, il faut s’agenouiller ou se coucher par terre, position, du reste, très convenable devant une statue de Michel-Ange.

Malgré tous ces désavantages, quelle foudroyante supériorité conserve cette magnifique statue sur toutes les productions modernes ! quelle fière mélancolie, quelle vigoureuse pensée indique cette figure armée, appuyée sur sa main ! Cet homme, qui rêve couvert de sa cuirasse, m’a semblé un symbole sublime de la pensée unie à l’action, de l’intelligence qui conçoit et de la force qui exécute. Nous ne comprenons pas la pensée de cette sorte : chez nous, penser c’est être triste, malheureux ou malade ; nous ne concevons guère la rêverie dans la force et la puissance, et nos mélancolies sont de petites femmes pleurnicheuses et poitrinaires ; cependant, si quelqu’un a le droit de rêver, ce sont ceux qui ont la puissance de faire.

La Nuit, qui n’a rien de nocturne qu’un hibou placé entre ses jambes, est une belle femme couchée, soulevée à demi sur le coude, une cuisse repliée, avec un hardi et magnifique mouvement de torsion dans le ventre et les flancs, devant lequel reculeraient les artistes les plus oseurs et les plus fougueux de ce temps-ci.

De grosses nattes de cheveux, toutes moites de ro-